Depuis toujours les lettres régnaient sur ma vie. L’égayaient. L’enchantaient. Conféraient à un quotidien fade et routinier, la part de rêve nécessaire à l’épanouissement de l’être.
Une consonne… Une voyelle... Une syllabe.
Une syllabe qui s’accroche à une autre syllabe… Un mot.
Un mot qui entraîne un autre mot et soudain c’est l’imagination qui danse une sarabande et l’existence prend des couleurs et une brillance magique qui transforment l’instant en un bonheur intemporel, indescriptible…
Les lettres sont malléables, conciliantes, indulgentes.
Lorsqu’elles sont confrontées aux règles grammaticales trop drastiques ou à une défaillance orthographique, elles nous offrent tout un éventail de synonymes qui se placent et se déplacent pour pallier à nos lacunes… Et l’écriture devient jeu.
Le jeu des mots est un plaisir qui illumine l’âme, laissant sur le papier l’indélébile trace de l’émotion qui vous fait sentir humain.
Depuis toujours je fuis les chiffres que je hais.
Ils pourrissent la vie. Ils quantifient, notent, décomptent, monnayent avec une froideur implacable.
Avec les chiffres, le rêve n’est pas de mise.
Ils se placent cote à cote, bien rangés comme des petits soldats, s’ajoutent, se soustraient et se divisent sans fantaisie.
Aucun chiffre ne peut en remplacer un autre. Chacun doit être à sa place… Unique… n’appelant qu’un seul bon résultat.
La moindre erreur est fatale. Impardonnable.
La vie prend parfois des tournants que l’on n’attendait pas.
J’ai appris à faire remplir des cuves de x mètres cubes de litres de produits de différentes densités livrés en kilos. Je jongle avec les plannings, les dates, les délais, les aléas, les grèves, les statistiques, les probabilités, les exigences des financiers qui raisonnent en kilos-euros (si, si ça existe… dingue n’est-ce pas ?) parfois incompatibles avec celles d’une production…
Bref, mon cerveau explose parfois tout au long de la journée et … végète le soir.
Parfois la nuit, il se rebelle, osant un vers, une idée… Que vient rapidement tuer le doute d’un chiffre que j’ai pu mal entrer dans l’ordinateur dans la journée, et la poésie explose telle une bulle dans l’air…
Je ne me plains pas… Je n’ai pas le droit de me plaindre… Tant et tant jonglent avec les centimes d’euros pour savoir comment boucler la fin de mois pour nourrir sa famille et payer les factures et les traites.
En bon petit soldat, je travaille plus pour… seulement garder mon travail jusqu’à soixante… trois, quatre, cinq…
Euh, pardon !
Vous le voyez les chiffres bouffent la vie !
Et se perdent mes… litterrances...
Et nos rendez-vous...
Vous me manquez...
Clo