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2 décembre 2014 2 02 /12 /décembre /2014 18:52
Nuit chaude

La plus infime parcelle de ma peau en contact avec le drap-housse tendu sur le matelas, imbibait celui-ci tel un buvard, de ma sueur. Dans le lointain, un grondement céleste serpentait la campagne. Une multitude d'éclairs blancs m'aveuglaient à travers mes paupières pourtant closes.
La nuit promettait d'être longue !

L'orage grondait et se rapprochait de plus en plus, sans apporter la moindre goutte de pluie cependant tant attendue par le sol assoiffé, depuis cette interminable période de canicule estivale qui semblait ne pas vouloir s'arrêter. Le fracas lugubre de la foudre, qui dut s'abattre sur un quelconque arbre des alentours proches, me fit sursauter. D’un réflexe machinal, j'attrapai sur le sol la nuisette dont je m'étais délestée auparavant. Mais espérer de la fraîcheur d'un léger courant d'air de la fenêtre entrebâillée, s’avéra vain.

Le satin se colla aussitôt sur ma peau moite, épousant les formes de mon corps et me rendant ainsi, non moins indécente que dans la nudité. Le contact du tissu suffit néanmoins à me rassurer, puisque les pulsations de mon cœur déchaîné reprirent des allures un peu plus normales. Cette orgie de flashes et de bruits extérieurs qui vrombissaient, me remirent en mémoire les sordides images de personnages effrayants, vues dans les rares films d'épouvante auxquels je n'avais pu me soustraire lors de sorties entre amis.
Elles vinrent alors hanter ma nuit blanche.

Je tressaillis, au son d'un sinistre coup de tonnerre qui dut provoquer une panne électrique, puisque les chiffres lumineux du radioréveil à côté de moi, s'effacèrent. Je me recroquevillai en position fœtale, assise contre la tête du lit, les bras croisés sur la poitrine et les mains sur ma nuque, protégeant ainsi mon cou de l'haleine fétide de Nosferatu dont j'eus l'impression de ressentir la présence, dans les plis des double-rideaux. La fatigue eut somme toute, raison de mes longues heures de veille et d'angoisse, car je glissai, telle quelle, dans un sommeil agité, peuplé de cauchemars.

Le ciel s'était, lui aussi, calmé, et tandis qu'à l'horizon se profilaient les premières lueurs du jour, je perçus de façon très nette, le bruit inquiétant d'une masse lourde s'affaissant sur le sol de la salle à manger.

Aucun doute, il ne pouvait s'agir là, ni d'impression ni de mythomanie. En arrêt pendant plusieurs secondes, je guettai le moindre son supplémentaire en provenance de l'étage inférieur. Mais plus rien d’audible.
Je me décidai malgré tout à en avoir le cœur net, et d’aller vérifier, sans me préoccuper du sang qui battait la chamade dans mes tempes, n'écoutant que mon courage... ou ma bêtise.
La chaleur restait toujours aussi étouffante et l'obscurité, totale. À tâtons, je fouillai dans le tiroir de ma table de chevet, à la recherche d’une lampe de poche. Sur le palier j'en profitai pour diriger le faisceau en direction de mon fils qui dormait à poings fermés. Je soupirai, soulagée : les enfants ont vraiment le sommeil profond !

Je refermai avec précaution la porte et, sur la pointe des pieds, commençai à descendre l'escalier. Je serrai les dents pour les empêcher de s'entrechoquer à cause des spasmes de mes mâchoires, et progressai en retenant mon souffle. Mon subconscient devait me persuader sans doute, que le simple fait d'avancer en apnée, suffirait à éviter que le bois des marches ne gémisse. Le hall d'entrée atteint, je pris conscience de ma vulnérabilité face à un visiteur malfaisant. J'évaluai de la faible lueur de ma torche, les bibelots environnants et j'optai, faute de mieux, pour la lourde lampe d'albâtre posée sur sa colonne. J’espérai qu’elle se révélât, en cas de besoin, une arme efficace pour fracasser le crâne, de mon éventuel intrus. Ainsi encombrée, c'est du coude que j'actionnai, avec le plus de douceur possible, la poignée du séjour.
Pas un bruit.
C'est à cet instant précis que l'alcaline de ma lampe de poche décida de rendre l'âme et me plonger dans le noir total, les doigts crispés sur mon précieux "gourdin".

Après d’interminables secondes de tumulte intérieur, j'attendis résignée, l'attaque de mon agresseur. La transpiration dégoulinait dans mon dos et la bouche dépourvue de toute salive, je passais la langue sur mes lèvres desséchées qui trouva des perles salées qui suintaient de mon visage terrorisé. Bien que la température n’ait pas baissé du moindre degré, je fus parcourue d'un frisson tel que je suppose devoir en éprouver tout condamné à mort avant l'exécution.
C'est alors que retentit dans la cuisine, le moteur du frigo qui se remettait en marche, l’électricité rétablie.
Sortie de ma torpeur, je lâchai ma torche qui s'éclata au sol. Je bondis sur l'interrupteur que je savais à ma droite sur le mur derrière moi.
La lumière inonda la pièce, m'aveuglant le temps que mes pupilles dilatées au maximum dans la pénombre, s'adaptent enfin à la clarté. Quand ce fut le cas, je le découvris face à moi, la gueule grande ouverte. Son contenu gisait en totalité, éparpillé sur le carrelage, au pied du siège d'où il était tombé.
Voilà donc l’objet de mon épouvante... mon sac de voyage !

Comme c’est souvent le cas après une grosse frayeur, je fus prise d’un immense fou-rire nerveux. Jusqu'où l’esprit pouvait-il à ce point divaguer, en fonction des circonstances et de l'atmosphère ?
Tout ce cinéma pour un vulgaire sac !
Agenouillée sur le sol, je réprimai le plus possible mon hilarité, afin ne pas réveiller mon garçon, tout en y remettant mes effets. Enfin calmée, je me relevai et replaçai en soupirant mon bagage sur la chaise.

Pourquoi avoir accepté de partir en week-end avec Matt ?
Je regrettai de m’être laissée persuader par mes copines de « penser enfin un peu à moi » et « d’envisager la possibilité d’être à nouveau une femme » et non plus la maman exclusive que j’étais devenue.

Presque cinq ans déjà depuis la funeste disparition de Bruno dans un accident de voiture, qui me laissa veuve, à deux mois d’accoucher de ce bébé que nous espérions tant !

Bruno fut l’unique homme de ma vie.
Copains d’enfance, nous avions fait, des classes primaires au collège, les quatre cents coups en cours et aux récrés Lorsque vint l’heure de s’éveiller aux émois amoureux, à l’aube de nos quinze ans, c’est de façon naturelle et évidente, que nous avions découvert ensemble, le plaisir de l’amour charnel. À vingt ans nous nous unissions devant Dieu, nos familles et amis, se jurant fidélité jusqu’à ce que la mort nous sépare.
Je me souviens que nous en avions ri par la suite, nous imaginant tous deux, cheveux blancs et peaux parcheminées, les mains tremblotantes mais toujours unies...
Nous étions, bien loin d’imaginer à l’époque, que notre bonheur serait de si courte durée, et que Bruno ne tiendrait jamais son fils contre son cœur.
Notre adorable petit Noé, me permit de survivre à mon indescriptible chagrin.
Sa ressemblance avec son père s’avérait au fil du temps, plus troublante. Mon amour maternel s’en trouvait chaque jour décuplé...

Je jetai un coup d’œil sur l’horloge : cinq heures trente. Ma mère n’allait bientôt plus tarder à arriver. Nous avions convenu qu’elle veillerait sur mon petit bonhomme tandis que j’irai rejoindre Matt, un collègue de travail séduisant et attentionné, qui me faisait une cour assidue depuis plus de deux ans.

Sa gentillesse et sa patience eurent raison de la distance que je m’efforçais de maintenir entre lui et moi.
Je finis peu à peu par céder à ses avances, en déjeunant parfois avec lui et flirtant même un peu.
Depuis plusieurs semaines, il se montrait davantage pressant et je ne trouvais plus d'arguments, à ce stade de notre relation, pour refuser un week-end en sa compagnie.
S’il ne me laissait pas indifférente, une angoisse s’insinuait pourtant en ma poitrine en imaginant qu’un autre amant que Bruno puisse caresser ma peau...
Je ne me sentais pas encore prête...
À vrai dire, je craignais de ne jamais parvenir à me sentir prête...

Perdue dans mes pensées, je me dirigeai en direction du hall pour retourner me coucher. La lumière vacilla l’espace d’un instant sans toutefois s’éteindre, puis j’entendis un fracas derrière moi. Mon sac de voyage se trouvait comme plus tôt, sur le sol, mes habits et autres objets éparpillés çà et là, témoignant d’une violence qui ne pouvait en aucun cas, n’être due qu’à un simple glissement. On eut dit qu’il avait été éjecté de l’endroit où je venais de le poser.

Je restai interdite et tremblante lorsque tout à coup, par un grand mystère, le cadre numérique posé sur le guéridon face à moi, se mit en marche.
Pétrifiée, je regardai pendant plusieurs minutes, défiler les photos de mon mariage. Un courant glacial, sembla envelopper le séjour tout entier. Il me transperça jusqu’aux os et m’extirpa de ma léthargie.
Je me frottai les bras avec vigueur pour tenter d’effacer la chair de poule et me penchai, dans le but de ramasser à nouveau mes affaires. Mais au moment où mes doigts allaient se saisir de l’une de mes robes, elle fut projetée en l’air par une force invisible et s’en alla retomber beaucoup plus loin.

J’étouffai un cri en plaçant mes poings sur ma bouche et, les yeux exorbités, je fixai, figé sur le petit écran, le visage en gros plan de Bruno qui semblait me regarder.

Un torrent de larmes coulait maintenant en silence sur mes joues et j’eus le sentiment qu’une main caressait mes cheveux. Je me retournai d’un bond. Personne !
Sur le cadran, une autre photo, statique : le baiser langoureux qui scella nos lèvres juste après l’échange de nos consentements et que l’abbé nous eut déclarés mari et femme...

Tout me devint soudain évident.
Je compris qu'en fait, à aucun moment au cours de ces cinq dernières années, je n’avais été abandonnée à la solitude. Je n’étais donc, a fortiori... pas libre.

Comme un automate, je m’avançai pour saisir le téléphone sans fil, posé sur sa base, juste à côté des images dont je ne pouvais détacher mon regard.
J’appelai, sans tenir compte de l’heure matinale :
- « Allo ! Matt ? Bonjour... Excuse-moi, il est tôt, mais... Je... Enfin...
- Ne dis rien... Tu ne viens plus... C’est ça ?
- Je suis désolée, Matt... Je ne peux pas... Je ne m’en sens pas encore capable. »

Je l’entendis soupirer dans l’écouteur, puis rien. Il raccrocha.
Je comprenais qu'il soit excédé par cette nouvelle virevolte de ma part.
J'eus conscience de l'avoir perdu.
Je n'en ressentis aucun regret.

Je reposais le combiné sur son socle et les photos défilèrent cette fois, à un rythme normal. Bruno et moi joyeux, en train d’ouvrir le bal, de tourbillonner, verser la rivière de champagne, couper la pièce montée...

Au plus profond de moi, une impression de légèreté et de sérénité m’envahit soudain.
Je m’accroupis, ramassai sans soin les habits pour les entasser dans le sac que je laissai au sol et, paisible, je regagnai ma chambre.

Je retirai ma nuisette avec nonchalance et me glissai sur le ventre dans le lit, à la place de mon mari. J’enserrai entre mes bras son oreiller. J’y plongeai la tête pour en respirer le parfum qu’il aimait porter et dont je prenais chaque jour le soin de le vaporiser.

Sans me poser de question, je m’abandonnai enfin à ces caresses réelles ou imaginaires qui parcouraient mon corps.
Dans un orgasme, je me rendis à l’évidence : cet indéfectible amour m’unissait à Bruno, pour la vie... et même au-delà.

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