On faisait la queue, les unes derrière les autres.
A côté de nous les hommes défilaient sourire aux lèvres.
On voyait bien qu'ils se fichaient de nous. Mais on tenait bon dansant d'un pied sur l'autre, en attendant notre tour.
On aurait préféré faire dans nos culottes plutôt que de se risquer d'utiliser les toilettes libres des mâles.
C'est qu'on a notre fierté, nous les femmes !
Et puis on l'a vue arriver avec ses pulls troués superposés, ses grosses chaussettes et ses charentaises. Elle s'est installée au lavabo, a sorti du sac en plastique qu'elle tenait dans ses mains bleuies par le froid un « pousse-mousse » de savon d’une marque économique de supermarché et elle a commencé à se faire une toilette minutieuse par en-dessous de ses frusques du mieux qu'elle pouvait pour ne pas nous mettre mal à l'aise.
Nous on s'appliquait à vérifier si le carrelage était bien collé au sol et si les dalles en polystyrène tenaient bien au plafond, tout en supervisant du coin de l'œil jusqu'au coup de peigne final.
On l'a vit ranger le savon et sortir un fond de tube de pommade « Dermophil- indien » qu'elle appliqua soigneusement sur son visage et ses mains.
Il y avait une dignité dans ses gestes !
Quand ce fut mon tour de soulager ma vessie, je profitai de l'intimité de l'endroit pour prélever un billet dans mon sac.
Tandis que je me lavai les mains je sentis son regard fier me toiser.
Alors je m'éclipsai, l'argent coincé dans mon bracelet montre…
C'est qu'on a notre fierté, nous les femmes !
Claudie Becques (20/11/08)