AU-DELA DE LA HAINE
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Je ne suis pas un imbécile… Il est temps pour moi de regarder au moins une fois la vérité en face… Au stade où j’en suis arrivé, au bout de plus de quarante-huit heures sans alcool j’aurais du depuis longtemps du faire des crises convulsives… Ces mouches… Ca n’a rien à voir avec une hallucination… Ces souvenirs qui se bousculent ne sont pas du délire… Et ce corps là par terre, n’est plus qu’une immonde enveloppe vide… Ainsi donc je ne trouverai même pas la paix dans la mort… Mon âme est-elle donc condamnée à errer définitivement ? Oh ! Mon Dieu… Seriez-vous rancunier pour que vous m’infligiez ainsi cette éternelle souffrance ?
C’est quelques mois après la naissance d’Olivier que le Chef fut en âge de prendre sa retraite. Les parents d’Anaïs quittèrent donc Paris et la caserne pour rejoindre leur famille et cette maison où nous nous réunissions tous, parents, enfants, frères, sœurs et amis, chaque été en Bretagne.
Ah les bretons ! De bons vivants ! Tandis que les femmes et les enfants passaient les après-midis à la plage, nous les hommes, nous nous adonnions à la pétanque, entrecoupée de tournées de chouchen.
Mon épouse sembla alors se renfermer sur elle-même. Sa mère lui manquait... j’essayais de la divertir du mieux que je pouvais lorsque je rentrais de ma garde, mais avec trois enfants et plus de beaux-parents pour jouer les baby-sitter, plus question d’un petit resto en amoureux ni d’un ciné.
Les mois passèrent, et ma tendre Anaïs soignait sa déprime par des séances de psychanalyse et des antidépresseurs qui la laissaient somnolente. Moi, de mon côté, je retardais chaque jour un peu plus au mess, l’heure de rentrer.
C’est à partir de cette époque que Thomas prit les choses en main en s’occupant de sa petite sœur et son petit frère en rentrant de l’école jusqu’à ce que je rentre du travail. Moi, je n’ai jamais vraiment été un papa… L’habitude d’être commandé me rendait totalement inapte à faire preuve d’autorité. Laissant la maison telle quelle, et pour laisser mon épouse se reposer, j’emmenais alors ma progéniture faire du vélo et des jeux de plein air au bois ou dans un parc public. Si à notre retour leur maman dormait encore, chacun d’entre nous se choisissait une pizza ou un hamburger surgelé du congélateur et se le faisait réchauffer au micro-onde. Une dernière petite séance de chatouilles et de bisous après un DVD à la télé et je couchais la marmaille avant d’aller me blottir contre ma chérie assommée de médicaments. Si le sommeil ne m’engourdissait pas à mon tour, je grillais alors quelques cigarettes sur le balcon en buvant quelques bières et en priant pour le retour du bonheur…
Quelques années passèrent sans que nous ne puissions retrouver Anaïs et moi un vrai dialogue.
La garde républicaine réservée aux plus jeunes me mit face à un dilemme : ou passer chef à mon tour ou quitter la caserne et intégrer la gendarmerie.
Refusant les responsabilités et incapable de faire preuve d’autorité, j’optai pour la seconde possibilité.
Nous dûmes donc déménager dans un autre arrondissement de Paris et ma parfaite connaissance de la Capitale me permit de devenir chauffeur de gradés pendant quelques années. Même si comme me le faisait assez souvent remarquer mon épouse, mon penchant pour l’alcool devenait une addiction, je savais tenir toute la journée sans boire, de fait que mon travail ne risquât pas d’en souffrir.
J’aimais énormément mon nouveau travail. Quant à Anaïs elle s’était faite de nouvelles amies à la caserne et elle semblait aller mieux et… du coup, l’envie de pouponner à nouveau recommença à germer. Je m’étais mentalement juré de ne plus faire avoir, mais c’était sans compter sur la finesse de ma chérie… Petit souper aux chandelles pour fêter notre anniversaire de mariage, champagne à flot pour fêter ça et je relâchais ma vigilance qui fit de moi le papa d’un quatrième enfant, Erwan, tandis que les plus grands avaient entre temps atteint l’âge de l’adolescence et son cortège de bêtises.