AU-DELA DE LA HAINE
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Je la retrouvais souriante et sereine. Ses grossesses la rendaient toujours radieuse… Moi, jusque là j’aimais la voir ainsi, épanouie. Pourtant cette fois la nouvelle ne me réjouis pas, pire je n’avais même pas envisagé qu’elle ait pu arrêter la pilule. Bien sûr qu’à plusieurs reprises elle avait suggéré l’envie d’un nouveau bébé, mais je croyais l’en avoir dissuadé en lui rappelant que le chemin de la guérison totale de notre petite Ludivine serait encore long jusqu’à l’ultime opération de chirurgie esthétique à l’adolescence qui en ferait définitivement une jolie jeune fille.
Anaïs refusait tout conflit et d’un sourire elle balayait toute discussion qui risquait de dégénérer, tout en sachant que de toute façon elle n’en ferait qu’à sa tête. C’était apparemment ce qu’elle avait fait.
Je ne parvenais décidément pas à comprendre ce qui pouvait se passer dans la tête et le corps de ma femme avec ce besoin irraisonné d’une famille nombreuse.
Entre le souvenir de ma mère qui avait vécu chaque maternité comme une catastrophe et cette jeune épouse qui n’était qu’heureuse le ventre rond, j’étais complètement perdu.
Je me gardais bien de lui faire part de mes angoisses : la malformation de notre petite Ludivine était peut-être un avertissement de la nature, et sans doute eut-il été plus sage de s’arrêter là...
Nous avions la chance qu’elle soit vive et intelligente, et si ce nouveau bébé naissait avec un plus lourd handicap ? Je ne me sentais personnellement pas capable d’assumer un nouveau coup du sort. Je ne savais vers qui ou quoi me tourner pour évacuer ces craintes.
Maman qui habituellement savait trouver des mots de soutien, s’indigna de tant de « bêtise et d’immaturité » de mon épouse et de mon inconscience et je raccrochai le téléphone plus déprimé encore…
Je me souviens avoir regretté à ce moment là de ne pas avoir de vraie religion…
Ma mère, bien que athée, nous avait néanmoins inscrits mes sœurs et moi au catéchisme pour nous permettre de faire nos propres choix – et un peu aussi pour ne pas contrarier papa qui avait, lui, été élevé très religieusement.- Or, je suis le seul des trois à avoir refusé de poursuivre cet enseignement jusqu’à la communion, à la grande satisfaction de maman. Pourtant quelque chose en moi me poussait irrésistiblement vers un lieu de culte à chaque fois que la vie me mettait à l’épreuve. Le simple fait de faire brûler une bougie me rassérénait parfois. Anaïs, elle, ne croyait pas en Dieu mais plutôt à un ange gardien que nous aurions tous…
Il me semblait que cette grossesse pouvait être perçue par « Lui » quel qu’il puisse être, comme un pied de nez à son attention et que nous devions nous attendre à une colère divine…
Mon travail de garde, me laissait tout le temps de cogiter et d’établir différents scénarios tous les plus tragiques les uns des autres.
Il me semble que c’est vraiment à cette époque-là que j’ai ressenti le besoin de passer systématiquement chaque soir par le bar pour y boire un ou deux verre d’alcool avant de rentrer à l’appartement pour m’aider à afficher un visage serein face à ma femme…